Europe Echecs N°269

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Mai 1981

Mai 1981

Pour ou contre les ordinateurs ?

Nos lecteurs répondent... par P.Nolot

Nous avions lancé dans notre n°265 un appel à nos lecteurs afin qu'ils donnent leur opinion sur la place que nous devons accorder aux articles sur les micro-ordinateurs d'Echecs dans notre revue.

Ce besoin de connaître l'opinion de nos lecteurs avait été provoqué par une lettre de M. Chatelain, de Falaise, qui avait dans un brûlot déclaré la guerre aux machines et levé l'étendard de la révolte contre l'invasion de l'informatique dans le noble jeu.

Nous avons reçu vingt lettres, les unes très courtes, d'autres de plusieurs pages, certaines envoyées par des lecteurs très proches, d'autres beaucoup plus lointaines : Roumanie, Côte d'Ivoire, Mauritanie.

Un seul lecteur approuve sans réserve M. Chatelain, reprend ses arguments et en ajoute d'autres. M. Tombeux, de Houdan écrit : Tout ce qui ne touche que de loin aux Echecs doit à mon avis être banni de la revue au profit de ce qu'est le jeu d'Echecs et rien que lui... laissons aux revues dont c'est la vocation le soin de parler des ordinateurs.), Celui-ci critique d'autre part notre rédacteur-en-chef qui estimait dans sa réponse à M. Chatelain que les ordinateurs sont là et il nous faut bien nous en accommoder, car pratiquer la politique de l'autruche en les ignorant eut été une attitude partisane fort éloignée du caractère de notre revue. . M. Tombeux, qui compare alors les machines à jouer aux Echecs aux pires fléaux de notre époque le veau aux hormones, les pesticides nocifs, la pollution, l'atome rétorque : le rejet, le boycott sont des attitudes aussi positives que l'adaptation et l'accommodement devant le fait accompli. .

Autre critique : Chaque page qu'E. E. consacre aux ordinateurs est une publicité qui leur est faite, qu'on le veuille ou non. La subtilité des promoteurs est bien d'avoir réussi à la rendre gratuite... en la faisant faire par les utilisateurs eux-mêmes... sans les intéresser aux bénéfices... enfin ce que je reproche surtout à l'ordinateur c'est d'être un outil de paresseux, de remplacer le travail, la volonté, la ténacité par la facilité, le laxisme, la mollesse... .

Ce point de vue extrêmement sévère n'est pas partagé par nos dix-neuf autres lecteurs qui se font, eux, les avocats des machines, les uns avec mesure, les autres avec un enthousiasme aussi excessif que la critique des détracteurs.

M. Ory, de Garches : Il me parait légitime qu'E. E. nous entretienne des ordinateurs, et ce serait une triste réaction que d'organiser la conspiration du silence sur eux. Au surplus les lecteurs les trouveraient bien eux-mêmes dans le commerce mais ils seraient alors livrés sans défense aux arguments des marchands.

M. Boucly, de Cambrai : M. Chatelain ne va-t-il pas accroître ses exigences et vous menacer de ne pas renouveler son abonnement si vous continuez de publier les annonces des librairies spécialisées dans la vente des livres d'Echecs, ouvrages dans lesquels quiconque peut puiser des lignes entières de jeu et se dispenser de tout effort intellectuel... les tournois réservés aux ordinateurs sont utiles puisqu'ils révèlent les progrès réalisés et guident le choix des acheteurs. Le rôle de notre revue est donc bien d'en rendre compte... Tous les joueurs conscients des mérites de ces admirables machines vous approuveront... Notre revue sera toujours plus prospère si elle réserve assez souvent quelques pages à l'une des plus belles inventions de notre siècle

M. Lasvaux, de Paris, a fait le compte de la place accordée dans E. E. aux ordinateurs en 1980 : 13 pages sur 574 dans sept numéros sur onze, soit moins de 3 % de la surface rédactionnelle. Celui-ci nous demande de ne pas écouter : les intégristes, ceux qui pensent que le jeu d'Echecs doit demeurer le privilège de quelques élus qui se réunissent pour communier dans leur religion.

RESTER A LEUR PLACE

L'inscription des machines dans des championnats humains est par contre très controversée.

M. Moreau, de Montlhéry fait remarquer que pour le moment un joueur a très peu de chance de tomber sur une machine dans une compétition : une seule machine à Puteaux pour l'open des championnats de France sur 500 joueurs, une à Monaco sur 90 joueurs, etc.

M. Pierre Michel estime toutefois que les ordinateurs doivent rester, comme toutes les machines, à leur place, c'est-à-dire qu'ils n'ont aucun titre à être baptisés joueurs... Un ordinateur doit rester un appareil d'entraînement pour les joueurs isolés ainsi que pour les autres joueurs d'une force ELO inférieure à celle de l'ordinateur. Je pense qu'il n'est pas nécessaire d'insister sur le fait qu'un joueur de force ELO de 1 800 s'entra nant contre un ordinateur de force 1 600 ou 1 700, ou même 1 800, ne fera aucun progrès... (1)

Le plus virulent est M. Roger De La Fay qui, dans un tournoi à Montpellier en décembre 1979, fut désigné par le tirage au sort pour jouer contre un ordinateur (Sargon 2.5). Il refusa et eut partie perdue. Depuis M. De La Fay mène une campagne auprès de toutes les instances pour faire interdire les machines dans les tournois humains : Il convient, dès maintenant, d'aviser les Arbitres, les Ligues, les organisateurs de tournois, de ne pas admettre d'ordinateurs, sinon ils seront passibles de pénalités (suspensions, amendes).

Tel n'est toutefois pas l'avis de la majorité des lecteurs qui estime que : l'inscription des machines vendues dans le commerce à tel ou tel tournoi permet d'attribuer objectivement un ELO à chaque produit en fonction des résultats obtenus face aux joueurs classés. Cela rétablit la vérité par rapport aux surestimations systématiques des fabricants, importateurs et vendeurs.

(1) Ce jugement est à l'évidence inexact. Tout le monde sait que dans un match de 10 parties, un joueur de 1 800 perdra deux ou trois parties contre un joueur à 1 700. A plus forte raison contre un ordinateur qui ne peut faire aucune faute grossière sur 4 demi-coups. Un joueur à 1 800 tirerait donc au contraire un grand profit de parties contre un ordinateur jouant à un niveau de 1 700 ELO. On sait que jusqu'ici, hélas!, aucune machine commercialisée n'atteint encore 1 600 ELO à la cadence d'un tournoi. Et pourtant beaucoup de joueurs classés à plus de 1 600 ont acheté le Sargon 2.5... et ne gagnent pas toutes leurs parties.

LA FIN OU PAS LA FIN

L'utilisation des machines par les joueurs disputant des parties par correspondance est un point qui a été largement traité par nos vingt correspondants.

Pour le Docteur L. Mathieux, de Cluses, pour qui, par ailleurs, l'ordinateur est en tous points bénéfique pour ses utilisateurs : c'est la fin à brève échéance du jeu par correspondance. C'est évident, personne ne pourra résister à la tentation de se faire aider par la machine.

Mais M. C. R., de Royan, rétorque : les parties par correspondance se déroulent toujours avec une bonne bibliothèque, d'Europe Echecs... voire, pour certains, d'un ami (c'est défendu, mais s rement pratiqué). Alors pourquoi pas une machine. Peu m'importe si mon adversaire utilise celle-ci. J'ai ainsi un adversaire d'un niveau supérieur, dont je profite... Et si deux ordinateurs jouent entre eux par adversaires interposés, je crois que ceux-ci se lasseront vite, mais qu'il en restera quand même quelque chose, car le joueur cherchera toujours le pourquoi de la réponse de la machine.

De nombreuses personnes font toutefois remarquer que pour le moment l'usage d'un ordinateur ne saurait fausser l'équité des parties par correspondance, étant donné le niveau de force peu élevé d'un tel auxiliaire.

MEME ET SURTOUT MUET

S'il ne se dégage pas de franche majorité pour savoir si le jeu par correspondance est menacé ou pas, et s'il faut ou non autoriser des machines dans les tournois, par contre c'est presque l'unanimité pour dire combien les ordinateurs d'Echecs constituent une aubaine pour les joueurs isolés. Et contrairement à ce que pourrait faire croire le dictionnaire des idées reçues, les joueurs âgés sont en général les plus enthousiastes.

Ainsi M. Bardet E., de Pouilly-en-Auxois, bientôt 80 ans : Après avoir passé 30 ans de ma vie à Paris, je vis isolé, loin de joueurs d'Echecs expérimentés. Alors presque journellement je fais une partie avec mon ordinateur. J'en suis très satisfait, malgré ses faiblesses en fin de partie.

Pour C. R., maintenant retraité, qui a créé il y a 30 ans un cercle d'entreprise, plus de cercle là où il vit : de vagues réunions dans un café, trois parties à l'heure toujours avec les mêmes, aucun esprit de compétition, consommations et juke-box obligatoires. Contact humain donc bien décevant... Il faut avant tout penser aux isolés, aux malades, à ceux qui ne peuvent se déplacer. Et même pour les autres, quel merveilleux sparring-partner... L'ordinateur devient très populaire et amènera des joueurs aux Echecs à la pendule... Quelle joie d'avoir enfin un partenaire, même - et surtout ! - muet.

VIVE L'ORDINATEUR,MORT AUX SAUTERELLES !

M. Radu Dragoescu nous écrit de Roumanie que des modifications du cours de notre jeu sont normales car : Lorsqu'une invention scientifique de portée mondiale intervient dans le domaine d'un art, il est toujours certain que le cours normal de cet art prenne peu à peu une nouvelle direction. Notre correspondant roumain fait ensuite de la prospective : On jouera un jour sur des échiquiers cylindriques, on emploiera des pièces étranges : la Sauterelle, le Cavalier de la Nuit, etc. Et ainsi, par opposition au jeu traditionnel, connu depuis des siècles, prendra essor le Jeu Féérique, le Jeu de l'Avenir .

Ces perspectives ne réjouissent pas du tout M. Garnier A., de Montreuil, qui prend la défense des ordinateurs, mais estime que : de véritable danger pour les Echecs est l'apparition de dangereux déviationnistes qui n'hésitent pas à ajouter sur l'échiquier des Janus, des Sauterelles ou toute autre forme de même acabit... Cette dégénérescence constitue une vermine qui, si l'on n'y prend pas garde, peut, à long terme, ronger tout l'édifice .

EN CONCLUSION

Vingt lettres pour 6 000 abonnés à notre revue, c'est évidemment bien peu et c'est pourquoi nous mettons actuellement la main à un questionnaire qui devrait nous donner des statistiques beaucoup plus fiables.

La majorité écrasante des opinions favorables aux micro-ordinateurs d'Echecs est tout de même significative. Les lecteurs nous demandent de continuer à les informer sur les produits nouveaux. Par contre, la participation des machines aux tournois et championnats ne recueille pas de franche majorité, ni pour, ni contre. Quant au jeu par correspondance, la plupart de nos lecteurs estiment qu'il n'est pas encore menacé, mais que cela changera lorsque les machines auront fait des progrès.


Je voudrais ajouter une pièce personnelle au dossier. Notre Concours Mensuel n'est déjà plus tout-à-fait à l'abri des réflexions de l'ordinateur. Ainsi j'ai soumis le problème de notre dernier numéro (268) à Morphy le nouveau module de Modular Game System . Il a trouvé tous les bons coups des Noirs. Ainsi un lecteur disposant de cet appareil peut envoyer la solution exacte, même s'il ne l'a pas trouvée lui-même.

Même chose pour le mat en quatre coups proposé par Roland Lecomte en page 195. Mais cette fois Morphy échoue ; par contre Mephisto qui trouve tous les mats en quatre coups, donne la solution à tous les possesseurs et leur permet... de gagner un livre sans fatiguer beaucoup leur matière grise.

C'est donc aux chroniqueurs et problémistes que ces machines jouent un mauvais tour. Elles les obligent désormais à concevoir des problèmes suffisamment compliqués pour que les lecteurs ne puissent trouver aucun secours auprès de leur petit collaborateur électronique. Et ce sera de plus en plus dur, car le prochain Savant de la game Novag trouvera tous les mats en cinq coups !

16/10/2020


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